Linux : ton univers impitoyable

Vendredi 16 Mars 2012

4 novembre 2004 - Tout semble aller pour le mieux dans le meilleur des mondes Linux mais le succès du système d’exploitation « open-source » aiguise les canines de requins aux dents longues espérant dominer le monde informatique de demain. Ce scénario qui ressemble comme deux gouttes d’eau à « Gang de requins », le dernier film de Dreamworks n’a rien à envier aux sagas nostalgiques des années huitante de type « Dallas » et « Dynasty . Preuve en est que la fiction n’a rien à envier à la réalité.Bonne nouvelle pour les fans du pingouin, les services liés aux logiciels libres arrivent à maturité. C’est du moins la constatation du cabinet de conseil français Pierre Audoin Consultants publiée au mois de septembre dernier. Selon l’auteur de l’étude cité sur ZDNet : « les projets d’adoption de plates-formes libres dans l’administration ont été un moteur déterminant dans l’évolution du marché ». Autre tendance forte décelée par l’étude, les sociétés de services et d’ingénierie informatique (SSII) se transforment de plus en plus en SSLL (sociétés de services en logiciels libres). Et cette diversification ne touche plus seulement les gros acteurs comme Capgemini ou Steria mais également les petites entreprises.


Cette étude ne se limite pas uniquement à la France mais passe à la loupe quelque quinze pays de l’Union Européenne. L’Allemagne est le pays où Linux s’est le plus développé. Elle a vu naître l’éditeur Suse Linux et la suite bureautique Star Office, tous deux rachetés par la suite respectivement par Novell et Sun Microsystems.

Linux explose

Selon le cabinet Newbourg Group, le monde compte aujourd’hui 100'000 entreprises utilisatrices régulières de Linux, bien que ce chiffre soit très difficile à évaluer car on ne sait pas si les internautes qui téléchargent un programme l’utiliseront réellement ultérieurement ou le testent uniquement sur une courte durée.

Concession de Microsoft

Cet engouement pour l’ « open source » remet de plus en plus en question l’hégémonie du groupe de Bill Gates. En octobre dernier, le géant américain a annoncé qu’il allait dévoiler les codes de sa suite bureautique Office à soixante gouvernements triés sur le volet. Une véritable stratégie contre nature pour Steve Balmer, actuel CEO du groupe mais un compromis nécessaire pour tenter de diminuer la concurrence féroce pour ses revenus provenant des logiciels libres. Si Microsoft domine le marché des systèmes d’exploitation (93,9% de part de marché en 2003 pour MS-Windows) et des applications bureautiques (plus de 80% de part de marché en 2003 pour MS-Office), de plus en plus d’entreprises et d’administrations désirent acquérir à moindre frais un système d’exploitations et des logiciels dont les lignes de codes pourraient être modifiées selon leurs besoins spécifiques. Cette domination se disloque peu à peu. D’abord niée puis minimisée par le groupe de Redmont, Bill Gates prend désormais la menace au sérieux. Dans son dernier rapport annuel, le fondateur du géant informatique explique que « si les logiciels libres continuent leur progression, les ventes de nos produits pourraient décliner, ce qui pourrait diminuer notre chiffre d’affaires et notre marge opérationnelle. » La contre-attaque ne s’est pas fait attendre. Dès janvier 2003 Microsoft lance le programme GSP (Government Security Programm) qui ouvre à trente pays (dont la Chine, la Russie Espagne et la Grande-Bretagne) l’accès au code source de MS-Windows. Début octobre 2004, le géant informatique franchit un nouveau cap en étendant son programme au code source de la suite bureautique MS-Office, désormais ouvert aux gouvernements de soixante pays.

Regarder mais pas copier

L’idée de ce programme consiste à proposer aux gouvernements concernés l’accès aux lignes de code par l’intermédiaire d’une connexion internet. Mais ne nous réjouissons pas trop vite. Pas question, en effet de copier ou de modifier ces codes. On peut seulement consulter. Pourtant, ce changement de paradigme microsoftien est une véritable révolution en la matière. Le géant informatique était jusqu’alors aussi discret qu’un banquier privé genevois lorsqu’il s’agissait de questions relatives à ses lignes de codes. Cette stratégie répond à plusieurs objectifs. Tout d’abord rendre Microsoft plus transparente aux yeux des gouvernements concernés et prouver que Bill Gates ne cache pas d’espions dans ses lignes de codes, malgré les rumeurs récurrentes que Microsoft collecte des données pour le compte des Etats-Unis d’Amérique à l’insu de ses utilisateurs. De plus, l’accès aux lignes de codes devrait rendre plus visible les mécanismes de stockage des fichiers, ce qui permet aux gouvernements de mieux maîtriser la traçabilité de leurs informations. Mais quelques points importants ne sont pas encore réglés. En raison de leur domination du marché, les logiciels développés par Microsoft sont les plus attaqués par des pirates ou par des virus. De nouvelles failles sécuritaires apparaissent régulièrement à la lumière du jour et entraînent des dépenses supplémentaires importantes pour s’en protéger. Au niveau des coûts d’acquisition et d’entretien, Microsoft n’est pas compétitif – statut monopoliste oblige et impose sa stratégie de course effrénée à l’actualisation et à l’abandon de maintenance des anciennes versions au déplaisir de sa clientèle.

Tous unis contre Microsoft

Des éditeurs open-source reconnus, à l’instar de Red Hat, Lindows ou Mandrakesoft commercialisent des solutions autour de logiciels libres. Ces éditeurs ne se satisfont pas de commercialiser leurs produits mais proposent également une gamme de services de plus en plus étendue alliant installation, maintenance et formation. Intéressés à diminuer la domination microsoftienne, bon nombre de fabricants informatiques dont IBM, HP et Dell ont rejoint les rangs de cette fronde en investissant les fonds nécessaires dans la compatibilité de leur matériel avec Linux.

Quitte ou double

Les autres éditeurs de logiciels ne sont pas en reste. Lors du « Brain-Share Europe 2004 » grand-messe annuelle d’utilisateurs Novell, l’éditeur a clairement défini sa stratégie. Désormais, son avenir est intimement lié à Linux et aux solutions d’administration et d’annuaires. Novell abandonne NetWare pour Linux. Mais pour aider ses clients à sauter le pas, l’éditeur a également conclu des partenariats avec plusieurs autres constructeurs et éditeurs (Bull, HP, IBM, Oracle, Software AG, Tarentella et Intershop). Le but de Novell est d’imposer le système d’exploitation SUSE Linux dans de nombreux serveurs et de le rendre compatible avec bon nombre d’applications utilisées en entreprise.

IBM à nouveau bientôt plus maître de son destin ?

Novell a-t-il fait le bon choix en misant son avenir sur Linux ? C’est ce que semble penser Jonathan Schwartz, CEO de Sun Microsystems qui envisage son rachat afin de damer le pion à son concurrent IBM devenu à ses yeux trop dépendant de son partenaire Red Hat, principal distributeur de Linux dans le monde, et forcé de miser sur le système d’exploitation alternatif Suse Linux, devenu propriété de Novell, pour ne pas renouveler l’erreur commise en son temps lorsque Big Blue avait failli être rayé à jamais de la carte pour avoir trop misé sur le système d’exploitation d’une jeune pousse inconnue à l’époque et de son fondateur : Microsoft et Bill Gates. Dans une note publiée sur son blog, Jonathan Schwartz estime qu’IBM est dans le pétrin car la domination de Red Hat laisse ce fabricant pratiquement dépendant de Suse/Novell. Et de conclure que quiconque possédera Novell contrôlera à terme le système d’exploitation responsable du futur d’IBM. Un rôle que le CEO de Sun rêverait de jouer, même si aucune initiative dans ce sens semble avoir été prise jusqu’à ce jour et que Solaris 10, son système d’exploitation maison – dont la commercialisation débute ces jours – ait été développé afin de contrer le développement de Linux sur le marché des serveurs Intel ou AMD.

Succès d’estime

Dans tous les cas de figure, si d’autres éditeurs choisissent de miser sur le pingouin, son succès s’en verra renforcé. Pour l’heure, l’hémorragie n’est pas encore visible. Linux n’est présent que dans 3,2% du marché des postes de travail et représente six systèmes d’exploitation pour serveurs sur cent. Mais sa part de marché est supérieure à 30% dans les serveurs web et un serveur d’entreprise sur quatre tourne grâce au pingouin. La suite open-Office fonctionnant sous Linux n’est pas en reste et reçoit quotidiennement l’adhésion de nouveaux utilisateurs.

La justice pourrait enterrer Linux

Mais son ascension pourrait subir un coup d’arrêt avec la découverte du fait que son noyau pourrait avoir enfreint la propriété intellectuelle de plusieurs entreprises…dont Microsoft.
En mars 2003, l’éditeur de logiciels, SCO Group, membre démissionnaire du consortium United Linux chargé de la standardisation de ce système d’exploitation, a entrepris de réclamer des droits d’auteurs sur Linux en réclamant 5 milliards de dollars à IBM, l’accusant d’avoir introduit dans Linux des morceaux de programmes provenant d’un ancien système d’exploitation Unix, dont SCO détiendrait des droits d’exploitation. Une bonne idée lucrative ne venant jamais seule, l’éditeur a lancé d’autres procédures judiciaires contre les groupes Red Hat et Novell, principaux artisans du développement de Linux dans le monde.

Durant l’été dernier, IBM a même invité l’industrie informatique à ne pas utiliser cette arme contre la communauté « open-source ». Propagée par une jeune entreprise new-yorkaise commercialisant des contrats d’assurances visant à protéger les utilisateurs et développeurs sous environnement Linux d’éventuelles poursuites judiciaires, la rumeur martèle le secteur informatique que le noyau de Linux enfreindrait 283 brevets intellectuels, dont 27 appartiendraient à Microsoft et un tiers à des sociétés partenaires de Linux, telles que HP, IBM ou Intel. Néanmoins, aucun brevet n’a été officiellement validé par la justice américaine. Le malheur des uns faisant toujours le bonheur des autres, l’entreprise new-yorkaise en question proposera dès l’an 2005 un contrat d’assurance qui protégera utilisateur et développeurs linuxiens contre toute poursuite d’un montant maximum de 5 millions de dollars. Le coût d’une telle assurance sera de 150'000 dollars par an.

Info ou intox?

La lecture de cet article nous démontre une fois de plus que la fiction n’a rien à envier à la réalité et que les « soap operas » hollywoodiens restent en dessous de la réalité. Dans ces conditions, la communauté « open-source » et son idéologie idéaliste parviendra-t-elle à survivre aux requins de la finance ? Nous le découvrirons dans un prochain épisode de notre saga informatique.
Mathieu Janin
Mathieu Janin