Décadence sociétale
L’aumônier estime que « - nous vivons actuellement une décadence sociétale lorsqu’on tue ceux qui nous nourrissent. Aujourd’hui nous vivons dans le culte du fric et de l’efficacité. Mais ce culte va droit dans le mur. Nos paysans ont besoin de mieux vendre leurs produits pour mieux vivre ». Et l’ancien agriculteur, devenu diacre puis pasteur et désormais aumônier, les défend fougueusement dans le cadre de son nouveau ministère.
Y’en a point comme nous
L’aumônerie agricole telle qu’elle se vit dans le canton de Vaud depuis 2015 est unique en Suisse. Elle est financée par le service vaudois de l’Agriculture. Comme beaucoup de belles histoires, ce projet résulte de la rencontre entre 3 personnalités vaudoises : Frédéric Brand, chef du service agricole, Xavier Paillard, pasteur, devenu par la suite président du Conseil synodal de l’EERV et Philipe Leuba, Conseiller d’Etat et chrétien engagé. Tous trois ont uni leurs forces pour créer ce poste d’aumônerie unique en son genre. Depuis le 1er octobre 2015, Pierre-André Schütz travaille à 20% en tant qu’aumônier des écoles d’agricultures de Grange-Vernet et de Marcelin et agit un autre tiers de son temps professionnel sur le terrain pour accompagner actuellement quelque 45 familles de paysannes vaudoises dans la difficulté et la détresse.
Une profession en difficulté croissante
Le cadre de vie des paysans a été massivement sous-estimé. Leur cadre légal est écrasant. Ils subissent les prix d’achat ridiculement bas à la vente de leurs récoltes, mondialisation et concentration de la distribution obligent. Certains faits sont aberrants. Il faut, en effet, attendre deux longues années et demi pour que le lait sorte d’une vache. La grande distribution achète le litre de lait 46 centimes aux paysans, alors que son prix de vente est proposé à 2 francs 30 deux jours plus tard sur les étals des commerçants, soit près de 5 fois sont prix d’achat... Malheureusement pour sa défense, le paysan vaudois est naturellement taiseux. Il n’a pas l’habitude de se plaindre. C’est là que Pierre-André Schütz leur propose la stratégie enseignée par son meilleur ami Jésus, et ce sans prosélytisme: Il chemine avec les paysans mais c’est à ces derniers de trouver les solutions à leurs problèmes. Pour ce faire, le Service vaudois de l’agriculture (SAVI) finance ce poste d’aumônier à l’Eglise réformée vaudoise (EERV). Fonctionnant dans le cadre de la mission commune œcuménique, ses patrons sont le conseil synodal et le vicaire épiscopal des Eglises catholiques et évangéliques réformées vaudoises. Mais comme Rome ne s’est pas faite en un seul jour, Pierre-André Schütz a eu quelques difficultés à débuter dans son nouveau poste. On peut même parler de malaise d’entrée de jeu, car le conseil de la mission commune était historiquement habitué à soutenir des ouvriers dans leur détresse professionnelle, mais pas des chefs d’entreprise que sont les paysans d’aujourd’hui. Les problèmes et les aides à apporter sont différentes. Pour l’épauler dans son travail, l’aumônier agricole peut compter sur un groupe de soutien composé de gens de la terre pour le soutenir dans son travail comme dans la prière et dans l’analyse de son travail. Ainsi il ne perd plus ses forces dans des tâches qui devraient être menées par d’autres services compétents. Désormais l’aumônier collabore et met en réseau différents services de Prometerre (l’association vaudoise de promotion des métiers de la terre) pour décharger ses paysans en difficulté.
Le découragement guette la femme du paysan
Parmi les 45 cas qui occupent actuellement Pierre-André Schütz, une dizaine concernent des femmes qui ont quitté le domaine familial : 4 sont parties car leur homme n’avait pas réalisé qu’elles étaient également entrepreneuses. L’aumônier précise que la femme qui travaille à l’extérieur pour aider financièrement son mari se décourage si ce dernier ne l’encourage pas et ne l’aide pas dans ses travaux ménagers. Les femmes travaillent souvent plus d’heure que les hommes. Et ce, dans le monde paysan comme ailleurs. Pour s’en sortir, Reconnaissance et entraide au sein du couple sont indispensables à son bon fonctionnement. Mais les difficultés ne se résument pas uniquement à celle du couple. La reprise du domaine est souvent source de tension intergénérationnelle. Le père qui remet le domaine à son fils ne se remet généralement pas en question et ne comprend pas que son fils ambitionne de travailler différemment. Lorsqu’un jeune désire reprend le domaine mais se fait humilier par son père devant son propre apprenti (cas récemment vécu), cela ne peut pas fonctionner harmonieusement. La pression financière insupportable pousse le paysan à l’épuisement. La colère et l’impuissance monte. L’agriculture affronte l’injustice. Depuis 25 ans, ses prix ont chuté dramatiquement mais ses coûts ont pris l’ascenseur tout aussi rapidement dans l’autre sens. C’est une situation dramatique pour la paysannerie. Elle est source de dépression, de drames familiaux qui peuvent mener au suicide.
Médiatiser pour sensibiliser
Pour sortir de ce cercle vicieux, P-A Schütz utilise les médias pour sensibiliser la population aux problèmes de la paysannerie. Les consommateurs trouvent les paysans sympathiques et sont prêts à les aider à mieux vivre, pour autant qu’ils soient informés de leur situation difficile. Plusieurs émissions sont prochainement prévues sur la RTS, dont un Temps Présent en fin d’année ou début 2017). Si le canton de Vaud est précurseur en la matière, il est important que d’autres cantons prennent le taureau par les cornes et créent des services d’aide similaires. Un groupe de réflexion dans lequel participe notre aumônier vaudois a été récemment créé dans le cadre de l’Union Suisse des paysans. Une sensibilisation nationale est en cours. Et le secteur politique ferait bien de prendre en compte les préoccupations de ses paysans.
Le drame de l’agriculture c’est l’OMC
Le drame de l’agriculture est d’avoir été embrigadée dans l’Organisation Mondiale du Commerce (OMC). Ce faisant, on a placé dans cette corbeille une partie intégrante de la souveraineté nationale. La petite agriculture a été placée dans la même charretée que les grandes industries et est écrasée par la mondialisation. P-A Schütz regrette la faible mémoire de nos politiques. « - On a rien retenu de la dernière guerre où le plan Wahlen faisait planter des tomates dans chaque surface verte au cœur des villes. On n’a pas réalisé que la souveraineté d’un pays, c’est défendre et nourrir sa population. On paie 5 milliards de francs sans sourciller pour notre armée mais on n’a pas la volonté de soutenir notre agriculture. Ce n’est pas du protectionnisme. C’est du civisme ! Toute cette économie a été biaisée. On impose à la Suisse 40'000 tonnes d’huile de palme, dans le cadre d’accords internationaux avec la Malaisie, alors que notre pays dispose déjà de 80'000 tonnes d’excellente huile de colza possédant le taux d’omégas 3 les plus élevé du monde. Cela met l’aumônier hors de lui. « - Supprimer aux paysans 40'000 tonnes d’or pour importer 40'000 tonnes de « m… ». La terre suisse est la plus chère du monde. Nous sommes en train de créer en occident une « civilisation hors-sol ». » Cela ne peut plus continuer ainsi. Et l’aumônier d’ajouter : « - Les paiements directs sont mérités lorsque le paysan joue son rôle de jardinier du territoire. Les enfants d’agriculteurs ont le droit d’être encore heureux dans 25 ans et de pouvoir vivre de leurs domaines. Mais il faut redonner à l’agriculture sa grandeur passée. Il faut que les paysans restent fiers de leur profession. » À nous consommateurs de changer nos comportements d’achat pour nous transformer en « consommActeurs » défendant sa paysannerie et de lui rendre cette fierté par un comportement écoresponsable. À l’approche des fêtes de fin d’années c’est une bonne résolution que chacune et chacun pourrait prendre et surtout tenir l’an prochain. Et ce ne sont pas les agricultrices et agriculteurs de notre région qui s’en plaindront.
Info : Aumônerie agricole vaudoise, Pierre-André Schütz, tél. 079 614 66 13, e-mail pierre-andre.schutz@eerv.ch